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Sylvain Coher : un écrivain prometteur

Par marie-josée - 15/09/2005

Sylvain Coher

Facing

Editions Joca Seria

(72, rue de la Bourdonnais, 44000 Nantes)

Joca Seria est le creuset où émerge une littérature contemporaine exigeante, d’une richesse et d’une vitalité réjouissantes. Les éditions accueillent des écrivains reconnus comme Pierre Michon et Jean Rouaud mais elles ont également contribué à révéler bon nombre de romanciers et d’écrivains talentueux dont Alain-Michel Boyer, Michel Luneau, Jacques-François Piquet, Alain Defossé, Thierry Guidet, Danielle Robert-Guesdon et Sylvain Coher, qui n’ont hélas pas encore connu le succès mérité.

Sylvain Coher est l’un des auteurs les plus prometteurs de sa génération. Il est capable des œuvres les plus inattendues. Comme dans ses romans précédents, on trouve dans « Facing », son troisième roman, beaucoup de finesse psychologique et un attrait particulier pour les personnages fatigués égarés dans la rude réalité d’un présent en sursis, qui, tentés par la fuite et la solitude, finissent par choisir l’éloignement du monde. Dans « Hors saison », Elia fuyait un passé et des vieux secrets qui la hantaient et brouillaient sa perception de la réalité. Dans « La recette de Stein », Stefan, sur les conseils de l’étrange Stein, quitte sa vie étriquée et change d’identité.

Dans « Facing », le narrateur monologue et s’échappe du quotidien par de longues marches. « Désormais, plutôt que de ne rien faire : tu marcheras », décide-t-il, « marcher, pour toi, c’est maintenir le rythme d’hier au cours d’aujourd’hui » . Le narrareur, Georges, est un homme ordinaire, du « pays des chaussures », autrefois excellent ouvrier qui « idéalement avait le profil », « du type sachant ployer sous les ordres d’un chef d’atelier, les cris d’un chef de chantier, les blâmes d’un chef de service », aujourd’hui rejeté par l’ordre économique.

Sylvain Coher a le talent des drames en sourdine. Avec un brio tout particulier, il dessine en quelques phrases le paysage affectif de son personnage, son quotidien vide, ses nuits blanches. Il excelle à rendre cette sensation de pesanteur lourde du présent en sursis. L’auteur s’attache aux détails infimes, un geste, quelques paroles, une lumière. Avec pudeur, il regarde son personnage se fatiguer, « perdre tous les jours le fil des pensées », se maudire, se laisser engloutir par le renoncement « en tamisant vainement des souvenirs trop secs pour être usinés ». Le savoir-faire de Georges devenu désormais inutile se déqualifie, s’étiole, s’évanouit dans un passé qui s’effiloche. Georges passe de la chaussure au composant électronique, de la manutention à l’emploi saisonnier, se fait maçon, commercial, vendeur d’extincteurs, boulanger, mécano, manœuvre, bravant les horaires variables, le travail par roulement de fin de semaine ou de nuit, entre menaces de radiation ou d’annulation, curriculum et numéro d’identifiant.

Mais, dans le naufrage de sa vie, il sait garder l’élégance des grands désabusés. Hanté par les voix d’hôtesse des conseillères des agences, ballotté d’entretiens en intérims, de stages en reclassements, de missions en mesures d’emploi, d’accompagnements individualisés en renouvellements de demande, Georges tente de garder sa dignité humaine. Le mot chômage, trop ordinaire, trop direct, n’est jamais prononcé, ni par Georges et ses proches, ni par les conseillères des agences et des officines. On parle crûment de reclassement, d’extrapolation des compétences professionnelles, de recherche de motivation, de profil disponible, de critère de performance. Sylvain Coher s’approprie avec créativité le jargon destructeur de l’ordre économique, accumule les tournures monstrueuses et les périphrases ridicules. En évitant les leçons de morale et la mauvaise conscience, « Facing » dénonce avec talent et lucidité la mascarade des plans sociaux, l’arnaque des reclassements, l’apparition inquiétante d’une caste d’experts et de spécialistes exploitant la détresse sociale et la crise économique. Trop peu d’écrivains osent aujourd’hui affronter les sujets en phase avec le réel de notre vie.

Marie Josée Christien

Prix du Roman Carhaix - http://prixromancarhaix.free.fr